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(#) Sujet: Textes et extraits à partager Mar 28 Aoû 2018, 21:23
« Défaite, ma Défaite, ma solitude et mon isolement ; Tu m'es plus chère que mille triomphes, Et plus douce à mon coeur que toute la gloire du monde.
Défaite, ma Défaite, ma connaissance de moi-même et mon défi. Par toi, je sais que je suis encore jeune et agile, Et que je ne dois pas me laisser piéger par des lauriers éphémères. En toi, j'ai trouvé l'isolement Et la joie d'être fui et méprisé. Défaite, ma Défaite, mon épée étincelante et mon bouclier, Dans tes yeux, j'ai lu Qu'être couronné, c'est être asservi, Qu'être compris, c'est être rabaissé, Et qu'être saisi, c'est atteindre sa propre plénitude Et qu'être tel un fruit mûr, c'est tomber et être consommé.
Défaite, ma Défaite, ma courageuse compagne, Tu dois entendre mes chants, mes cris et mes silences ; Nul autre que toi ne pourra me parler du battement d'ailes, De l'urgence des mers Et des montagnes qui brûlent dans la nuit. Et toi seule, tu pourras gravir mon âme rocheuse et escarpée.
Défaite, ma Défaite, mon courage immortel, Toi et moi rirons ensemble avec l'orage, Ensemble nous creuserons des tombes pour tout ce qui meurt en nous, Nous nous tiendrons au soleil avec ardeur Et nous serons dangereux. »
Khalil Gibran
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(#) Sujet: Re: Textes et extraits à partager Mar 28 Aoû 2018, 21:27
« C’était l’heure où les ombres sont longues. Les rochers semblaient plus grands, les vagues plus vertes. On eût dit que le ciel s’agrandissait et que toute la nature changeait de visage. Donc nous partîmes en avant, au-delà, sans nous soucier de la marée qui montait, ni s’il y aurait plus tard un passage pour regagner terre. Nous voulions jusqu’au bout abuser de notre plaisir et le savourer sans en rien perdre. Plus légers que le matin, nous sautions, nous courions sans fatigue, sans obstacle, une verve de corps nous emportait malgré nous et nous éprouvions dans les muscles des espèces de tressaillements d’une volupté robuste et singulière. Nous secouions nos têtes au vent, et nous avions du plaisir à toucher les herbes avec nos mains. Aspirant l’odeur des flots, nous humions, nous évoquions à nous tout ce qu’il y avait de couleurs, de rayons, de murmures : le dessin des varechs, la douceur des grains de sable, la dureté du roc qui sonnait sous nos pieds, les altitudes de la falaise, la frange des vagues, les découpures du rivage, la voix de l’horizon; et puis c’était la brise qui passait, comme d’invisibles baisers qui nous coulaient sur la figure, c’était le ciel où il y avait des nuages allant vite, roulant une poudre d’or, la lune qui se levait, les étoiles qui se montraient. Nous nous roulions l’esprit dans la profusion de ces splendeurs, nous en repaissions nos yeux; nous en écartions les narines, nous en ouvrions les oreilles ; quelque chose de la vie des éléments émanant d’eux-mêmes, sous l’attraction de nos regards, arrivait jusqu’à nous, s’y assimilant, faisait que nous les comprenions dans un rapport moins éloigné, que nous les sentions plus avant, grâce à cette union plus complexe. A force de nous en pénétrer, d’y entrer, nous devenions nature aussi, nous sentions qu’elle gagnait sur nous et nous en avions une joie démesurée; nous aurions voulu nous y perdre, être pris par elle ou l’emporter en nous. Ainsi que dans les transports de l’amour, on souhaite plus de mains pour palper, plus de lèvres pour baiser, plus d’yeux pour voir, plus d’âme pour aimer, nous étalant sur la nature dans un ébattement plein de délire et de joies, nous regrettions que nos yeux ne pussent aller jusqu’au sein des rochers, jusqu’au fond des mers, jusqu’au bout du ciel, pour voir comment poussent les pierres, se font les flots, s’allument les étoiles; que nos oreilles ne pussent entendre graviter dans la terre la formation du granit, la sève pousser dans les plantes, les coraux rouler dans les solitudes de l’océan et, dans la sympathie de cette effusion contemplative, nous eussions voulu que notre âme, s’irradiant partout, allât vivre dans toute cette vie pour revêtir toutes ses formes, durer comme elles, et se variant toujours, toujours pousser au soleil de l’éternité ses métamorphoses. Mais l’homme n’est fait pour goûter chaque jour que peu de nourriture, de couleurs, de sons, de sentiments, d’idées; ce qui dépasse la mesure le fatigue ou le grise; c’est l’idiotisme de l’ivrogne, c’est la folie de l’extatique. Ah! que notre verre est petit, mon Dieu! que notre soif est grande! que notre tête est faible! »
Flaubert
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(#) Sujet: Re: Textes et extraits à partager Mar 28 Aoû 2018, 21:32
"Ange plein de gaieté, connaissez-vous l'angoisse, La honte, les remords, les sanglots, les ennuis, Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits Qui compriment le coeur comme un papier qu'on froisse ? Ange plein de gaieté, connaissez-vous l'angoisse ?
Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine, Les poings crispés dans l'ombre et les larmes de fiel, Quand la Vengeance bat son infernal rappel, Et de nos facultés se fait le capitaine ? Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine ?"
BAUDELAIRE
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(#) Sujet: Re: Textes et extraits à partager Mar 28 Aoû 2018, 21:42
« [...] ils se laissèrent bercer par la calèche qui avançait sur la route bien tracée, restèrent silencieux un bon moment, puis Kasser reprit ses réflexions sur l'amour pur, totalement pur, /the clear love/, uniquement celui-là, précisa Korim, car les autres formes d'amour ne l'intéressaient pas, l'amour totalement pur dont il parlait représentait, selon lui, la plus profonde et la plus, voire la seule, noble forme de révolte, /resistance/, car seul cet amour-là permettait à l'homme d'accéder à une liberté totale et inconditionnelle, ce qui le rendait naturellement extrêmement dangereux pour le monde qui l'entourait, c'était fort juste, remarqua Falke, et en envisageant l'amour ainsi, alors, l'homme amoureux était le plus dangereux des hommes, car, ayant une aversion profonde à l'égard du mensonge, il s'avérait incapable de mentir et ressentait mieux que personne la différence scandaleuse entre l'amour pur par nature et l'ordre par nature impur du monde, ce qui ne signifiait pas que l'amour incarnât la liberté parfaite, /the perfect freedom/, mais cet amour rendait le manque de liberté intolérable, ce qui, finalement, revenait à dire la même chose que Kasser, mais avec d'autres mots, toujours est-il, reprit Kasser, que si cette liberté découlant de l'amour représentait le stade le plus élevé de la condition humaine, de façon étrange, cette liberté n'était accordée qu'aux êtres éternellement solitaires, autrement dit, cet amour était l'un des cas de solitude les plus indissolubles, si bien que ces millions d'amours, ces millions de révoltes, ces millions d'expériences individuelles attestant de la nature insupportable de ce monde opposé à leur idéal, ne pouvaient jamais unir leurs forces, en conséquence de quoi le monde n'avait jamais pu opérer sa première révolution radicale, qui aurait pourtant dû réellement et logiquement se produire, la révolution radicale de ce monde opposé dans les mots et dans les actes à cet idéal n'avait pas eu lieu, et n'aurait jamais lieu, dit Kasser en baissant la voix, après quoi il y eut un silence, ils restèrent sans parler, et pendant un long moment on n'entendit plus que les cris du cocher encourageant les chevaux à grimper la pente, puis les roues de la calèche, qui filait à travers la vallée de la Brenta, les emportait, loin, loin déjà de Bassano. »
Laszlo Krasznahorkai, Guerre et Guerre
(Un très bon livre, bien que très spécial !)
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(#) Sujet: Re: Textes et extraits à partager Mar 28 Aoû 2018, 21:48
" - [...] Quand tu te heurtes, toi, à un obstacle de ce genre, aussitôt tu regardes de tous côtés, tu te demandes comment l'accorder avec le reste. Mais eux, qui ont creusé petit à petit dans leur cerveau un long chemin de colimaçon, ils se contentent de jeter un coup d’œil en arrière pour s'assurer que le fil qu'ils sécrètent ne s'est pas rompu au dernier tournant. C'est pourquoi ton genre de questions les embarrasse. Elles les empêchent de retrouver leur chemin. D'ailleurs, comment peux-tu dire que j'exagère ? Tous ces hommes mûrs, ces belles intelligences n'ont jamais fait que s'envelopper d'un filet dont chaque maille renforce la précédente, de sorte que l'ensemble a l'air merveilleusement naturel ; mais où se cache la première maille, celle dont tout le reste dépend, nul ne le sait. Nous n'avions pas parlé souvent aussi gravement de tout cela ; c'est qu'on n'aime pas beaucoup en faire des discours, mais tu peux te rendre compte maintenant de la faiblesse des opinions dont les gens se contentent concernant le monde. Ce n'est que leurre, duperie, imbécillité et anémie ! Leur cerveau a tout juste la force d'élaborer sa petite théorie, mais celle-ci, à peine dehors, tremble de froid, tu comprends ? Ah ! là, là ! toutes ces fines pointes, ces cimes dont nos professeurs nous disent qu'elles sont trop hautes pour que nous y puissions toucher encore, elles sont mortes, gelées, tu m'entends ? On voit s'élever de toutes parts ces pointes de glace, on les admire, mais personne n'en peut rien tirer, tant elles sont privées de vie !"
Luna Pionnier
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(#) Sujet: Re: Textes et extraits à partager Mar 28 Aoû 2018, 21:56
Je ne suis pas religieuse, mais je suis extrêmement touchée par les textes et chants religieux :
"Je vous salue, Marie pleine de grâce ; Le Seigneur est avec vous. Vous êtes bénie entre toutes les femmes Et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni. Sainte Marie, Mère de Dieu, Priez pour nous pauvres pécheurs, Maintenant et à l’heure de notre mort.
Amen"
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(#) Sujet: Re: Textes et extraits à partager Mar 28 Aoû 2018, 22:02
"Törless devait devenir plus tard, une fois surmontée l'épreuve de l'adolescence, un jeune homme très fin et très sensible. On put le ranger alors au nombre de ces natures d'intellectuels ou d'esthètes qui trouvent un certain apaisement à observer les lois et même, au moins partiellement, la morale officielle, parce que cela les dispense de réfléchir à des problèmes grossiers, trop étrangers à la subtilité de leur vie intérieure ; mais qui manifestent, à côté de cette extrême correction apparente et légèrement ironique, la plus totale indifférence et le plus profond ennui pour peu qu'on leur demande un intérêt plus personnel pour ces problèmes. Car le seul intérêt véritablement profond qu'ils éprouvent se porte exclusivement sur le développement de l'âme, de l'esprit, ou comme l'on voudra nommer cela en nous qu'accroît parfois une pensée saisie entre les lignes d'un livre ou suggérée par les lèvres closes d'un portrait, cela en nous qui s'éveille parfois quand une mélodie solitaire, obstinée, s'éloigne et, se perdant, tire avec une étrange force sur le mince fil rouge de notre sang ; cela, en revanche, qui s'évapore immanquablement quand nous remplissons des formulaires, quand nous construisons des machines, quand nous allons au cirque ou que nous nous livrons à l'une ou l'autre des innombrables activités de la même espèce.
Ainsi les esprits de cette sorte sont-ils parfaitement indifférents à ce qui ne sollicite que leur sens du convenable."
/Les désarrois de l'élève Törless/
Luna Pionnier
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(#) Sujet: Re: Textes et extraits à partager Mar 28 Aoû 2018, 22:30
Le texte est dans les vidéos :
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Type : INFJ-A 5w4 So/Sx Age : 29 Lieu : Toulouse - Jean Jaurès Emploi : Philo - épistémologie Inscription : 14/08/2018 Messages : 1147
(#) Sujet: Re: Textes et extraits à partager Mar 28 Aoû 2018, 22:38
:O Merci beaucoup Luna !
Dernière édition par Flop le Mar 28 Aoû 2018, 22:55, édité 1 fois
Luna Pionnier
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(#) Sujet: Re: Textes et extraits à partager Mar 28 Aoû 2018, 22:44
De rien, merci également pour le partage ! C'est une très bonne idée de topic.
Luna Pionnier
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(#) Sujet: Re: Textes et extraits à partager Mar 28 Aoû 2018, 23:45
La petite fille aux allumettes :
l faisait vraiment très, très froid ce jour là; il neigeait depuis le matin et maintenant il faisait déjà sombre; le soir approchait, le soir du dernier jour de l'année. Au milieu des rafales, par ce froid glacial, une pauvre petite fille marchait pieds nus dans la rue. Lorsqu'elle était sortie de chez elle ce matin, elle avait pourtant de vieilles chaussures, mais des chaussures beaucoup trop grandes pour ses si petits pieds. Aussi les perdit-elle lorsqu'elle courut pour traverser devant une file de voitures; les voitures passées, elle voulut les reprendre, mais un méchant gamin s'enfuyait en emportant l'une d'elles en riant, et l'autre avait été entièrement écrasée par le flot des voitures. Voilà pourquoi la malheureuse enfant n'avait plus rien pour protéger ses pauvres petits petons. Dans son vieux tablier, elle portait des allumettes: elle en tenait une boîte à la main pour essayer de la vendre. Mais, ce jour-là, comme c'était la veille du nouvel an, tout le monde était affairé et par cet affreux temps, personne n'avait le temps de s'arrêter et de considérer l'air suppliant de la petite fille. La journée finissait, et elle n'avait pas encore vendu une seule boîte d'allumettes. Tremblante de froid et de faim, elle se traînait de rue en rue. Des flocons de neige couvraient maintenant sa longue chevelure. De toutes les fenêtres brillaient des lumières et de presque toutes les maisons sortait une délicieuse odeur de volaille qu'on rôtissait pour le festin du soir. Après avoir une dernière fois offert en vain son paquet d'allumettes, l'enfant aperçut une encoignure entre deux maisons. Elle s'y assit, fatiguée de sa longue journée, et s'y blottit, tirant à elle ses petits pieds: mais elle grelotte et frissonne encore plus qu'avant et cependant elle n'ose pas rentrer chez elle. Elle n'y rapporterait pas la plus petite monnaie, et son père la battrait. L'enfant avait ses petites menottes toutes transies. "Si je prenais une allumette, se dit-elle, une seule pour réchauffer mes doigts?" C'est ce qu'elle fit. Quelle flamme merveilleuse c'était! Il sembla tout à coup à la petite fille qu'elle se trouvait devant un grand poêle en fonte, comme elle en avait aperçut un jour. La petite fille allait étendre ses pieds vers ce poêle pour les réchauffer, lorsque la petite flamme de l'allumette s'éteignit brusquement et le poêle disparut. L'enfant resta là, tenant dans sa main glacée un petit morceau de bois à moitié brûlé. Elle frotta une seconde allumette: la lueur se projetait sur la mur qui devint transparent. Derrière cette fenêtre imaginaire, la table était mise: elle était couverte d'une belle nappe blanche, sur laquelle brillait une superbe vaisselle de porcelaine. Au milieu, s'étalait une magnifique oie rôtie, entourée de pommes sautées: et voilà que la bête se met en mouvement et, avec un couteau et avec une fourchette, vient se présenter devant la pauvre petite affamée. Et puis plus rien: la flamme de l'allumette s'éteint. L'enfant prend une troisième allumette, et elle se voit transportée près d'un splendire arbre de Noël. Sur ses branches vertes, brillaient mille bougies de couleurs: de tous côtés, pendait une foule de merveilles. La petite fille étendit la main pour en saisir une: l'allumette s'éteint. L'arbre semble monter vers le ciel et ses bougies deviennent des étoiles. Il y en a une qui se détache et qui redescend vers la terre, laissant une trainée de feu. "Voilà quelqu'un qui va mourir" se dit la petite. Sa vieille grand-mère, la seule personne qui l'avait aimée et chérie, et qui était morte tout récemment, lui avait raconté que lorsqu'on voit une étoile qui file vers la terre cela voulait dire qu'une âme montait vers le paradis. Elle frotta encore une allumette: une grande clarté se répandit et, devant l'enfant, se tenait la vieille grand-mère. - Grand-mère, s'écria la petite, grand-mère, emmène-moi. Oh! tu vas aussi me quitter quand l'allumette sera éteinte: tu vas disparaître comme le poêle si chaud, l'oie toute fûmante et le splendide arbre de Noël. Reste, s'il te plaît!... ou emporte-moi avec toi. Et l'enfant alluma une nouvelle allumette, et puis une autre, et enfin tout le paquet, pour voir sa bonne grand-mère le plus longtemps possible. Alors la grand-mère prit la petite dans ses bras et elle la porta bien haut, en un lieu où il n'y avait plus ni froid, ni faim, ni chagrin. Le lendemain matin, les passants trouvèrent sur le sol le corps de la petite fille aux allumettes; ses joues étaient rouges, elle semblait sourire : elle était morte de froid, pendant la nuit qui avait apporté à tant d'autres des joies et des plaisirs. Elle tenait dans sa petite main, toute raidie, les restes brûlés d'un paquet d'allumettes. - Quelle petit sotte! dit un sans-coeur. Comment a-t-elle pu croire que cela la réchaufferait ? D'autres versèrent des larmes sur l'enfant; mais ils ne savaient pas toutes les belles choses qu'elle avait vues pendant la nuit du nouvel an, ils ignoraient que, si elle avait bien souffert, elle goûtait maintenant, dans les bras de sa grand-mère, la plus douce félicité.
Qu'est-ce que ce conte m'a fait pleuré petite...
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(#) Sujet: Re: Textes et extraits à partager Mer 29 Aoû 2018, 00:09
Stanislas Rodanski (1927-1981), Aventurier.
Certains me croient un conquérant Et voient en mes yeux l'extase des guerriers jeunes Je suis celui qui s'enfuit et ne revient jamais Et je suis celui qui demeure
Chevalier errant du temps perdu Je campe en des territoires prohibés Je suis un chasseur solitaire Mes proies sont nombreuses et fugitives Je les traque en des jungles sous-marines Parmi les fleurs aiguës du givre et de l'écume
Et je voyage pour des quêtes périlleuses La piste de la nuit me guide Jusqu'en des ports de légende Où résonne l'appel des lointains nordiques Et je pars
Passager d'un navire illusoire Vers les ultimes mers de la nuit Le cap à l'infini
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(#) Sujet: Re: Textes et extraits à partager Mer 29 Aoû 2018, 00:14
"Je ne suis rien. Je ne serai jamais rien. Je ne peux vouloir être rien. A part çà, je porte en moi tous les rêves du monde. Fenêtres de ma chambre, Ma chambre où vit l’un des millions d’êtres au monde dont personne ne sait qui il est (Et si on le savait, que saurait-on ?), Vous donnez sur le mystère d’une rue au va-et-vient continuel, Une rue inaccessible à toutes pensées, Réelle au-delà du possible, certaine au-delà du secret, Avec le mystère des choses par-dessous les pierres et les êtres, Avec la mort qui moisit les murs et blanchit les cheveux des hommes, Avec le Destin qui mène la carriole de tout par la route de rien. Aujourd’hui je suis vaincu comme si je savais la vérité. Aujourd’hui je suis lucide comme si j’allais mourir Et n’avais d’autre intimité avec les choses Que celle d’un adieu, cette maison et ce côté de la rue devenant Un convoi de chemin de fer, un coup de sifflet A l’intérieur de ma tête, Une secousse de mes nerfs, un grincement de mes os à l’instant du départ. Aujourd’hui je suis perplexe, comme celui qui a pensé, trouvé, puis oublié. Aujourd’hui je suis divisé entre la loyauté que je dois Au Tabac d’en face, chose réelle au-dehors, Et la sensation que tout est rêve, chose réelle au-dedans."
Fernando Pessoa
Invité Invité
(#) Sujet: Re: Textes et extraits à partager Mer 29 Aoû 2018, 08:28
Luna :As-tu lu la petite sirène d'Andersen ? (je ne parle pas des adaptations pour enfants) Sinon, c'est une belle histoire. On sent vraiment qu'il s'est inspiré de quelque chose auquel il tenait.
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(#) Sujet: Re: Textes et extraits à partager Mer 29 Aoû 2018, 11:05
Oui, très belle histoire.
Pour /La petite sirène/ d'Andersen, j'ai trouvé ceci : https://fr.wikisource.org/wiki/Contes_d%E2%80%99Andersen/La_Petite_Sir%C3%A8ne
Luna Pionnier
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(#) Sujet: Re: Textes et extraits à partager Mer 29 Aoû 2018, 12:04
Askja a écrit:
Luna :As-tu lu la petite sirène d'Andersen ? (je ne parle pas des adaptations pour enfants) Sinon, c'est une belle histoire. On sent vraiment qu'il s'est inspiré de quelque chose auquel il tenait.
Non, mais j'ai lu une version plus proche de l'originale que celle de Disney, mais très courte.
A l'occasion je la lirais ! Merci pour le lien @Flop
Sinon oui, elle est très touchante cette histoire... Il voulait sûrement dénoncé l'injustice des conditions de vie entre les plus pauvres et les bourgeois.
Flop Aucun rang assigné
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(#) Sujet: Re: Textes et extraits à partager Sam 01 Sep 2018, 13:29
J'ai longtemps écrit des illuminations que seuls mes yeux pouvaient relire en y goutant tout le sens. C´est que l´essence de mes expériences est étrangère à l'entendement des communs penseurs puisqu´elle se nourrit d´Ailleurs. Aurais-je dû pour cela me priver de poésie et faire de la pédagogie ? C'est à cela bientôt que mon poignet s´emploiera, afin de ne plus paraitre un diablotin obscur au milieu de la clarté de l´Oubli. C´est qu´il faut du temps mes enfants, pour apprendre à penser sans tenter de se servir soi même, et faire de ses Lumières, un escalier céleste qui mène vers du Neuf !
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(#) Sujet: Re: Textes et extraits à partager Ven 21 Sep 2018, 14:03
"Le meilleur de l’art d’écrire, ce n’est pas le mal réel qu’on se donne pour accoler le mot au mot, pour entasser, brique sur brique; ce sont les préliminaires, le travail à la bêche que l’on fait en silence en toutes circonstances, que ce soit dans le rêve ou à l’état de veille. Bref, la période de gestation. Personne n’a jamais réussi à jeter sur le papier ce qu’il avait primitivement l’intention de dire : la création originale, qui est continue, que l’on écrive ou non, participe du flux élémentaire : elle s’inscrit hors de toutes dimensions, de toutes formes, de toutes durées. Dans cet état préliminaire, qui est création et non naissance, les éléments qui sont appelés à disparaître ne sont pas détruits pour autant ; un principe qui se trouvait déjà être présent, marqué du sceau de l’impérissable, par exemple la mémoire, la matière, Dieu, surgit à l’appel et l’être s'y précipite comme le fétu de paille dans le torrent. Mots, phrases, idées, si subtils et ingénieux soient-ils, coups d’ailes les plus forcenés de la poésie, rêves les plus profonds, visions les plus hallucinantes, ne sont que des hiéroglyphes grossiers gravés par la douleur et la souffrance en commémoration d’un événement qui demeure intransmissible. Dans un monde suffisamment ordonné, il serait inutile de faire l’effort déraisonnable de notre de tels hasards miraculeux. Cela n’aurait à vrai dire aucun sens. Si l’humanité prenait le temps de se rendre compte des choses, qui saurait se contenter d’une contrefaçon, quand il n’est que de tendre la main pour saisir le réel ? Qui aurait envie de tourner le bouton de la radio pour écouter Beethoven, par exemple, quand il lui suffirait de se tourner vers lui-même pour vivre les extases harmoniques que Beethoven a désespérément tenté d’enregistrer ? Toute grande œuvre d’art, si elle atteint la perfection, sert à nous rappeler, mieux : à nous faire rêver l’intangible éphémère – c’est à dire l’univers. Elle ne jaillit pas de l’entendement – on l’y admet ou on l’en rejette. Admise, elle instille une vie nouvelle. Rejetée, nous en sommes diminués d’autant. Quel que soit son objet, elle ne l’atteint jamais : elle contient toujours un plus dont le dernier mot ne sera jamais dit. Et ce plus, c’est ce que nous lui ajoutons dans notre appétit terrible de ce dont chaque jour qui s’écoule est la négation. Si nous nous admettions nous même aussi complètement que nous admettons l’œuvre d’art, l’univers entier de l’art périrait de carence alimentaire. Il n’est pas de jour ou n’importe quel pauvre type ne voyage immobile, à tout le moins durant les quelques heures où son corps repose, les yeux clos. Un jour viendra où il sera au pouvoir de quiconque de rêver éveillé. Mais bien avant ce jour, les livres auront cessé d’exister, car lorsque la plupart des hommes connaîtront l’art d’être parfaitement éveillé et de rêver, leur pouvoir de communier (entre eux comme avec l’esprit qui meut l’humanité) se trouvera si renforcé que l’art d’écrire n’aura alors pas plus de sens que les grognements inarticulés et rauques d’un idiot."
Henry Miller, Sexus.
Flop Aucun rang assigné
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(#) Sujet: Re: Textes et extraits à partager Ven 21 Sep 2018, 14:05
L'Indifférence a ce caractère particulier : elle s'attaque surtout aux choses sublimes. Elle permet à celui qu'elle possède de s'occuper beaucoup des petites choses et de travailler à ce qui ne signifie rien. Elle le rend laborieux vis-à-vis du néant. Elle ne lui interdit pas la justice et la bonté.
Il y a plus de crimes commis par négligence que de crimes commis pas scélératesse. Il faut beaucoup d'attention pour ne pas devenir homicide.
Homicide ! Que cette chose est rare en apparence ! Qu'elle est fréquente, en réalité ! L'homicide sans le savoir nous coudoie dans toutes les rues. Que de gens regardent avec horreur et mépris les homicides reconnus, déclarés, les homicides officiels, qui sont homicides eux-mêmes et homicides profondément ! On est homicide par pensée, par parole, par action et par omission. L'homicide par omission est le plus inaperçu et par là même le plus fréquent de tous.
Quel livre on ferait sous ce titre : les crimes par omission ! Crimes non pas seulement oubliés, mais inconnus ! inconnus des criminels, quelquefois inconnus des victimes. Crimes qui font mourir et qui ne font pas de bruit ; crimes qui comptent pour rien dans notre actuel aveuglement et qui diront leurs noms dans la vallée de Josaphat : - J'avais faim et vous ne m'avez pas donné à manger...
L'homme qui ayant découvert dans sa vie les crimes par omission aurait l'étrange courage et la sublime intelligence de s'en repentir d'une façon digne d'eux, s'élèveraient à des hauteurs morales tout à fait extraordinaires.
Les deux victimes les plus ordinaires de l'indifférence sont le malheur et le génie.
Le malheur et le génie parcourent le monde en mendiant ; nulle part ils n'ont droit de cité. Pour eux la foule est un désert ; c'est à eux qu'il faut demander le nom de l'indifférence, c'est à eux qu'il faut demander comment tue l'homicide par omission.
La passion est la mère des crimes par action ; l'indifférence est la mère des crimes par omission.
Il n'y a que ces deux mendiants, le malheur et le génie, qui sachent apprécier la tournure et le regard de ce passant qui s'appelle l'indifférence. L'indifférence est une personne qui n'a pas le temps. Elle a toujours d'autres affaires.
La charité est celle qui a le temps. Rien ne gêne l'indifférence comme un homme qui prend au sérieux les actes que l'on fait et ceux que l'on omet de faire.
L'indifférence, comme ces criminels endurcis, de loin en loin troublés dans leur nuit par un éclair, l'indifférence ferme les yeux pour ne pas voir ses crimes. Et comme est toujours pressée, sa hâte éternelle protège son aveuglement contre les surprises de la conscience.
Si on priait une toupie ronflante de s'arrêter par complaisance de peur de blesser quelqu'un, elle répondrait : Je n'ai pas le temps, voyez quel bruit je fais, et comme je tourne vite.
Dans le conflit des affaires, la chose qu'on oublie le plus, c'est l'importance respective de ces différentes affaires. Les hommes ne daignent pas y réfléchir. Mais leur instinct les pousse à donner leur attention aux choses en raison inverse de leur importance.
Une aventure du demi-monde remplira Paris, qui n'aura pas, pour les plus grands évènements de la pensée, une seconde d'attention. L'indifférence lui permettra de raconter en détail les toilettes d'une courtisane et la couleur de ses cheveux. L'indifférence écrira et lira avec attention les détails de sa dernière aventure et de sa dernière moquerie. L'indifférence dévorera cette histoire sans lendemain : car l'indifférence est capable de passions, pourvu que le néant soit seul en jeu.
Mais qu'un grand acte s'accomplisse le même jour et sollicite une place au soleil, la plus petite, la plus humble, car la grandeur est timide, l'indifférence n'a pas le temps.
Elle est impitoyable infiniment. Dans sa stupidité infiniment impitoyable elle fait ce qu'elle peut pour assassiner les grandeurs agonisantes. Un instinct secret la précipite froidement dans les crimes inouïs dont la société meurt, et à l'heure des grandes catastrophes, elle ne s'aperçoit pas qu'elle a tout fait. Car voici encore un de ses caractères : elle est incorrigible.
L'indifférence, qui n'est pas dépourvue de goût pour les choses basses, n'est pas dépourvue de haine pour les choses hautes. Ce goût et cette haine, au lieu de la tuer, l'alimentent. Elle a pour ceux qu'elle égorge une haine instinctive ; elle leur reproche d'être égorgés.
Elle trouve que les gens assassinés sont ennuyeux, ils crient ; et même s'ils étouffent leurs cris dans leur poitrine, on devine encore qu'ils ont envie de crier. C'est déjà beaucoup trop, et l'indifférence qui les assassina ne leur pardonnera pas cette tentation de crier, qu'elle leur suppose et qui la gêne.
Si l'assassiné parle, il a tort ; s'il crie, il a tort ; s'il se tait, il a tort ; s'il trouvait le moyen de n'être plus, de n'avoir jamais été, de supprimer son existence dans le présent, dans l'avenir et même dans le passé, alors l'indifférence lui reprocherait son anéantissement comme bizarre, exceptionnel et peut-être orgueilleux.
L'homicide par omission : l'indifférence. - Ernest Hello, in Du Néant à Dieu.
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(#) Sujet: Re: Textes et extraits à partager Ven 21 Sep 2018, 14:08
Il y a dans mon cœur une adolescence qui n'a pas dit son dernier mot, qui ne s’apaisera que lorsqu'elle aura poussé le hurlement qu'elle contient depuis tant d'années et souffleté de toute sa rage la face immonde de l'hypocrisie universelle. Elle n'oublie rien, garde précieusement chacun des griefs, chacune des humiliations que l'on dévoue à ceux à qui l'on ne reconnait pas le droit à la dignité, à la liberté ni même à la parole. Elle attend sagement l'heure où elle pourra articuler et chanter le grand cri de révolte et d'horreur qu'elle porte envers le monde adulte. Chaque jour elle me dit : reste toi-même, ne te trahis pas, n'accepte pas les compromissions, continue de trouver médiocre ce qui l'est, fait fleurir et encourage les rêves de ceux qui ont encore la force d'y croire, pourfend la bêtise et l'esprit de sérieux, ces deux ignobles jumeaux, et continue de brûler comme si tu devais demain incendier le monde entier.
Alors je l'écoute, sagement, et je reste un volcan anonyme. Endormi, accumulant son feu, et préparant le grand spectacle de mon apparition.
Dernière édition par Flop le Ven 21 Sep 2018, 14:36, édité 1 fois
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(#) Sujet: Re: Textes et extraits à partager Ven 21 Sep 2018, 14:12
Le devoir se manifeste comme une volonté impersonelle, une exigence s'étant cristallisée dans l'âme sans que sa visée définitive ne soit forcément clairement identifiée ou connue ; il s'agit avant tout d'une sensation qui s'éploie corporellement, sentimentalement puis intellectuellement et qui, en raison de son caractère supra-rationnel, fait obligatoirement intervenir un élément de foi, entendu comme l’abandon dans un flux de confiance qui n'a d'autre raison d'être qu'elle même, et en lequel se joint une inconnaissance consciente -à laquelle, bon gré mal gré, on se plie afin de rester au sein du mystère-, l'évidence d'un projet bienveillant, le plaisir d'être annihilé dans une joie (calme) de servir, et l’aperception plus ou moins appuyée que cette volonté qui nous meut est tout le réel tentant de s'accomplir.
La liberté, quant à elle, est ce qui se déploie comme état de conscience dans l'acceptation de suivre ce devoir (et les limites qu'il impose) ; en cela elle est bien peu moderne, et titille nos adolescences attardées, qui nous coupent, par la sensation d'émancipation infantile dans laquelle semble nous élever la liberté-transgression, de la joie de faire un avec cet ordre qui, certes, blesse notre orgueil, mais ne désire que de s'accomplir et d'agir en notre cœur.
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(#) Sujet: Re: Textes et extraits à partager Ven 21 Sep 2018, 14:15
Je ferai des frasques de notre jeunesse le chant bouleversant de toute une génération, de nos incartades séditieuses et de nos espoirs infinis d'une vrai vie, l'hymne triomphal, le cri enfin poussé de toute une jeunesse qui se noie dans l'alcool et les basses retentissante des boites de nuit et des raves parties en quête d'un sens qui s'échappe sans cesse, et plus personne ne pourra dire que son mal lui est inconnu et qu'elle n'est qu'un résultat, un simple résidu d'une civilisation insensée ; non, car la parole, la libre parole de son cœur collectif aura enfin été déployée et révélée aux yeux horrifiés des soumis de toute sorte, leur permettant enfin de déclarer légitimement et souverainement : nous sommes les enfants du futur, nous n'acceptons plus vos règles ineptes, vos idéologies débiles et la prison de votre matérialisme asphyxiant ; non, nos âmes toutes entières proclament la cessation immédiate du règne de la folie et de la destruction, nous sommes les enfants fous et joyeux du nouveau monde, à travers lesquels s'écoule abondamment et sans aucune limite le flot permanent de liberté et d'extase qu'agite en son cœur toute la création ! Allez, debout les morts, et bienvenue dans le monde réel !
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(#) Sujet: Re: Textes et extraits à partager Dim 04 Nov 2018, 22:26
Écoutant une émission sur les désillusions sociales des ressortissants de l'université, leur déception face à l'absence de possibilité de carrière, le sentiment que la méritocratie ne tient pas ses promesses ect, je me fais une réflexion. Outre que je suis toujours aussi étonné que chaque année une nouvelle génération découvre la lune, je me rends compte aujourd'hui qu'en définitive, la minorité d'adolescents dont j'ai fais partie qui - tenaillés par un désir de ne pas parvenir, de ne pas s'intégrer, et totalement dénués d'intérêts par les mirifiques promesses du marché du travail - ont précocement réfléchis à la possibilité d'une vie frugale, et dont les assises matérielles étaient considérées par la plupart comme tout à fait utopiques, se sont finalement assurés la possibilité d'une vie heureuse, du fait que leurs rêves sont en fait bien plus accessibles que les désirs de réussites sociales de la majorité, condamnée au larbinage dans le tertiaire s'ils n'ont pas la présence d'esprit de rétrograder en direction d'un cap. Belle ironie et, oserais-je dire, justice immanente.
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(#) Sujet: Re: Textes et extraits à partager Mar 06 Nov 2018, 22:37
Jeté ce matin, et retapé à la va-vite :
Selon beaucoup d'adultes persuadés de la qualité de leur sagesse acquise et généreux dans le partage de leur expérience -cet alibi à tout les renoncements et compromissions-l'adolescence serait cette période de la vie sans responsabilités ni conséquences, toute vouée aux désirs et aux histoires de cœur, que la vie s'empresserait de nous faire regretter amèrement. Que l'on nous permette de ricaner franchement. Véridique sûrement pour les générations précédentes pour qui l’innocence, la foi en l'avenir, aux institutions et idéologies, le partage de valeurs communes ou encore celui d'un sentiment inculqué de l'origine de classe furent vécu majoritairement comme autre chose que de simples chimères, mais c'est sans aucun doute faire preuve d'une insondable ignorance psychologique de la génération née aux alentours des années 1990, pour qui le nihilisme est tout autant l’atmosphère que nous respirons depuis tout jeune, et le socle sur lequel nous bâtissons nos frêles identités. Fort heureusement pour nous, la pensée sociologique moderne, dans sa glorieuse munificence et son zèle de servir l'époque qui la subventionne, se charge allègrement de nous informer de nos spécificité et de nos inédits, nous affublant régulièrement de noms d'oiseaux mutants au gré des évolutions technologique auxquelles nous nous soumettons, et dont le ridicule et l'insignifianceen remontre à l'infantilisme intellectuel dont il est invariablement issu. Cette génération, contrairement à ces agents du contrôle mental, pour en faire partie, je la connais ; et je la connais d'autant mieux que j'ai pour elle un amour infini - de cet amour je tire ma légitimité à la parole. Oh ! je sais, il serait aisé ceci dit de lister par le menu maintenant ces tares et ces errements, et je connais nombres de personnes qui s'y empresserait, commençant ainsi leur discours par l'alignement scrupuleux et précautionneux de tout ce qui les opposent et les extraient d'avec ces anciens compagnons d'infortunes peu prestigieux, créant ainsi un écran orgueilleux sensé les protéger du déshonneur d'avoir été partie prenante de cette génération, protégeant du même coup l'auréole d'anti-conformisme et de rébellion qu'ils se sont forgés et qui n'est en vérité la preuve que d'une soumission supplémentaire. Au contraire, n'ayant rien à défendre, je n'ai pas honte de mon parcours ni d'en faire le récit, et je me propose donc de plonger résolument dans ce qui fait la sève de notre intimité commune et de la manière dont le monde s'acharne à tenter de la voiler, de la transformer, de l'édulcorer ou de la dissoudre dans la poisse de ses discours insipides pour finalement tenter de l'éradiquer. J'ai passé tant d'heures venimeuses à écouter les hurlements aphones de cette jeunesse comme si chacun d'eux était les miens, à souffrir de voir ce bouillonnement de vie enfermer dans des corps tendus, ce désir de vie trahie masqué derrières des visages de résignation apeurés où toute révolte, toujours, était niée, bannie, refoulée sous prétexte d'inutilité. Tant de jours insupportables d'attente à observer ces salles de classes silencieuses où le désespoir affirmait son règne et se grimait des atours prétentieux et mortifères de la sagesse adulte. J'ai observer tout ces êtres accepter de chavirer dans la médiocrité, accepter le sabordage que la peur attentait dans leur âmes sans réussir à leur hurler l'horreur ce que je voyais, et j'ai accepter de voir sombrer des soleils naissant sous les assauts répétés de la norme et de ses chantages affectifs. D'autres encore, disparaître à tout jamais dans l'autisme des basses assourdissantes des sounds-systems et des paradis artificiels. J'ai regarder toute cette jeunesse gâchée tenter de renaitre misérablement chaque week-end avant de mourir à nouveau le lundi matin, inlassablement. Je l'ai vu sans mots à poser sur ces plaies et manquer de représentants pour le faire, croire en un futur de mort qui n'était qu'un discours visant à anesthésier ses rêves, et renoncer chaque jour un peu plus à sa propre puissance. Et devant cette débâcle, ce spectacle macabre d'une génération qui s'effondre, je me suis promis de tout enregistrer, de ne jamais rien oublier de tout ce que je ressentais alors, de tout vivre avec le maximum d'intensité afin que le jour venu je puisse être autre chose qu'un simple commentateur, mais bien le medium au travers duquel puisse s'exprimer les cris et le chant d'une génération tout entière.
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(#) Sujet: Re: Textes et extraits à partager Mer 20 Fév 2019, 14:48
Le développement de l’homme, disait-il, s’opère selon deux lignes : “savoir” et “être”. Pour que l’évolution se fasse correctement, les deux lignes doivent s’avancer ensemble, parallèles l’une à l’autre et se soutenant l’une l’autre. Si la ligne du savoir dépasse trop celle de l’être, ou si la ligne de l’être dépasse trop celle du savoir, le développement de l’homme ne peut se faire régulièrement ; tôt ou tard, il doit s’arrêter. Les gens saisissent ce qu’il faut entendre par “savoir”. Ils reconnaissent la possibilité de différents niveaux de savoir : ils comprennent que le savoir peut être plus ou moins élevé, c’est-à-dire de plus ou moins bonne qualité. Mais cette compréhension, ils ne l’appliquent pas à l’être. Pour eux, l’être désigne simplement “l’existence”, qu’ils opposent à la “non-existence”. Ils ne comprennent pas que l’être peut se situer à des niveaux très différents et comporter diverses catégories. Prenez, par exemple, l’être d’un minéral et l’être d’une plante. Ce sont deux êtres différents. L’être d’une plante et celui d’un animal, ce sont aussi deux êtres différents. L’être d’un animal et celui d’un homme, également. Mais deux hommes peuvent différer dans leur être plus encore qu’un minéral et un animal. C’est exactement ce que les gens ne saisissent pas. Ils ne comprennent pas que le savoir dépend de l’être. Et non seulement ils ne le comprennent pas, mais ils ne veulent pas le comprendre. Dans la civilisation occidentale tout particulièrement, il est admis qu’un homme peut posséder un vaste savoir, qu’il peut être par exemple un savant éminent, l’auteur de grandes découvertes, un homme qui fait progresser la science, et qu’en même temps il peut être, et a le droit d’être, un pauvre petit homme égoïste, ergoteur, mesquin, envieux, vaniteux, naïf et distrait. On semble considérer ici qu’un professeur doit oublier partout son parapluie. Et cependant, c’est la son être. Mais on estime en Occident que le savoir d’un homme ne dépend pas de son être. Les gens accordent la plus grande valeur au savoir, mais ils ne savent pas accorder à l’être une valeur égale et ils n’ont pas honte au niveau inférieur de leur être. Ils ne comprennent même pas ce que cela veut dire. Personne ne comprend que le degré ;du savoir d’un homme est fonction du degré de son être. Lorsque le savoir surclasse l’être par trop, il devient théorique, abstrait, inapplicable à la vie ; il peut même devenir nocif parce que, au lieu de servir la vie et d’aider les gens dans leur lutte contre les difficultés qui les assaillent, un tel savoir commence à tout compliquer ; dès lors, il ne peut plus apporter que de nouvelles difficultés, de nouveaux troubles et toutes sortes de calamités, qui n’existaient pas auparavant. La raison en est que le savoir qui n’est pas en harmonie avec l’être ne peut jamais être assez grand ou, pour mieux dire, suffisamment qualifié pour les besoins réels de l’homme. Ce sera le savoir d’une chose, lié à l’ignorance d’une autre ; ce sera le savoir du détail, lié à l’ignorance du tout : le savoir de la forme, ignorant de l’essence. Une telle prépondérance du savoir sur l’être peut être constatée dans la culture actuelle. L’idée de la valeur et de l’importance du niveau de l’être a été complètement oubliée. On ne sait plus que le niveau du savoir est déterminé par le niveau de l’être. En fait, à chaque niveau d’être correspondent certaines possibilités de savoir bien définies. Dans les limites d’un “être” donné, la qualité du savoir ne peut pas être changée, et l’accumulation des informations d’une seule et même nature, à l’intérieur de ces limites, demeure la seule possibilité. Un changement dans la nature du savoir est impossible sans un changement dans la nature de l’être. « Pris en soi, l’être d’un homme présente de multiples aspects. Celui de l’homme moderne se caractérise surtout par l’absence d’unité en lui-même et de la moindre de ces propriétés qu’il lui plaît spécialement de s’attribuer : la “conscience lucide”, la “libre volonté”, un “Ego permanent” ou “Moi”, et la “capacité de faire”. Oui, si étonnant que cela puisse vous paraître, je vous dirai que le trait principal de l’être d’un homme moderne, celui qui explique tout ce qui lui manque, c’est le sommeil. L’homme moderne vit dans le sommeil. Né dans le sommeil, il meurt dans le sommeil. Du sommeil, de sa signification et de son rôle dans la vie, nous parlerons plus tard. À présent, réfléchissez seulement à ceci : que peut savoir un homme qui dort ? Si vous y pensez, en vous rappelant en même temps que le sommeil est le trait principal de notre être, aussitôt il deviendra pour vous évident qu’un homme, s’il veut réellement savoir, doit réfléchir avant tout aux façons de s’éveiller, c’est-à-dire de changer son être. L’être extérieur de l’homme a beaucoup de côtés différents : activité ou passivité ; véracité ou mauvaise foi ; sincérité ou fausseté ; courage, lâcheté ; contrôle de soi, dévergondage ; irritabilité, égoïsme, disposition au sacrifice, orgueil, vanité, suffisance, assiduité, paresse, sens moral, dépravation ; tous ces traits, et beaucoup d’autres, composent l’être d’un homme. « Mais tout cela chez l’homme est entièrement mécanique. S’il ment, cela signifie qu’il ne peut pas s’empêcher de mentir. S’il dit la vérité, cela signifie qu’il ne peut pas s’empêcher de dire la vérité — et il en est ainsi de tout. Tout arrive ; un homme ne peut rien faire, ni intérieurement, ni extérieurement. « Il y a cependant des limites. En règle générale, l’être de l’homme moderne est d’une qualité très inférieure. D’une qualité si inférieure parfois qu’il n’y a pas de changement possible pour lui. Il faut ne jamais l’oublier. Ceux dont l’être peut encore être changé peuvent s’estimer heureux. Il y en a tant qui sont définitivement des malades, des machines cassées dont il n’y a plus rien à faire. C’est l’énorme majorité. Rares sont les hommes qui peuvent recevoir le vrai savoir ; si vous y réfléchissez, vous comprendrez pourquoi les autres ne le peuvent pas : leur être s’y oppose. En général, l’équilibre de l’être et du savoir est même plus important qu’un développement séparé de l’un ou de l’autre. Car un développement séparé de l’être ou du savoir n’est désirable en aucune façon. Bien que ce soit précisément ce développement unilatéral qui semble attirer plus spécialement les gens. « Lorsque le savoir l’emporte sur l’être, l’homme sait, mais il n’a pas le pouvoir de faire. C’est un savoir inutile. Inversement, lorsque l’être l’emporte sur le savoir, l’homme a le pouvoir de faire, mais il ne sait pas quoi faire. Ainsi l’être qu’il a acquis ne peut lui servir à rien, et tous ses efforts ont été inutiles. Dans l’histoire de l’humanité, nous trouvons de nombreux exemples de civilisations entières qui périrent soit parce que leur savoir surclassait leur être, soit parce que leur être surclassait leur savoir. (...)
« Pour saisir cette distinction et, d’une manière générale, la différence de nature du savoir et de l’être, et leur interdépendance, il est indispensable de comprendre le rapport du savoir et de l’être, pris ensemble, avec la compréhension. Le savoir est une chose, la compréhension en est une autre. Mais les gens confondent souvent ces deux idées, ou bien ils ne volent pas nettement où est la différence. Le savoir par lui-même ne donne pas de compréhension. Et la compréhension ne saurait être augmentée par un accroissement du seul savoir. La compréhension dépend de la relation du savoir à l’être. La compréhension résulte de la conjonction du savoir et de l’être. Par conséquent l’être et le savoir ne doivent pas trop diverger, autrement la compréhension s’avérerait fort éloignée de l’un et de l’autre. Nous l’avons dit, la relation du savoir à l’être ne change pas du fait d’un simple accroissement du savoir. Elle change seulement lorsque l’être grandit parallèlement au savoir. En d’autres termes, la compréhension ne grandit qu’en fonction du développement de l’être. Avec leur pensée ordinaire, les gens ne distinguent pas entre savoir et compréhension. Ils pensent que si l’on sait davantage, on doit comprendre davantage. C’est pourquoi ils accumulent le savoir ou ce qu’ils appellent ainsi, mais ils ne savent pas comment on accumule la compréhension et ils ne s’en soucient pas. Cependant une personne exercée à l’observation de soi sait avec certitude qu’à différentes périodes de sa vie elle a compris une seule et même idée, une seule et même pensée, de manières totalement différentes. Il lui semble étrange souvent qu’elle ait pu comprendre si mal ce qu’elle comprend maintenant, croit-elle, si bien. Et elle se rend compte, cependant, que son savoir est demeuré le même ; qu’elle ne sait rien de plus aujourd’hui qu’hier. Qu’est-ce donc qui a changé ? C’est son être qui a changé. Dès que l’être change, la compréhension elle aussi doit changer. « Entre le savoir et la compréhension, la différence devient claire lorsque nous réalisons que le savoir peut être la fonction d’un seul centre. La compréhension, au contraire, est la fonction de trois centres. Ainsi l’appareil du penser peut savoir quelque chose. Mais la compréhension apparaît seulement quand un homme a le sentiment et la sensation de tout ce qui se rattache à son savoir. Nous avons parlé précédemment de la mécanicité. Un homme ne peut pas dire qu’il comprend l’idée de la mécanicité, lorsqu’il la sait seulement avec sa tête. Il doit la sentir avec toute sa masse, avec son être entier. Alors il la comprendra. « Dans le champ des activités pratiques, les gens savent très bien faire la différence entre le simple savoir et la compréhension. Ils se rendent compte que savoir et savoir faire sont deux choses toutes différentes, et que savoir faire n’est pas le fruit du seul savoir. Mais, sortis de ce champ de leur activité pratique, les gens ne comprennent plus ce que cela signifie : “comprendre”. « En règle générale, lorsque les gens se rendent compte qu’ils ne comprennent pas une chose, ils essaient de lui trouver un nom, et lorsqu’ils ont trouvé un nom, ils disent qu’ils “comprennent”. Mais “trouver un nom” ne signifie pas que l’on comprenne. Par malheur, les gens se satisfont habituellement des noms. Et un homme qui connaît un grand nombre de noms, c’est-à-dire une multitude de mots, est réputé très compréhensif — excepté, dans les choses pratiques où son ignorance ne tarde pas à devenir évidente.