Dans la pédagogie Montessori, une des formules clés de l’accompagnement de l’enfant est « Aide-moi à faire seul ! ». Elle décrit, sans rien occulter de la réalité du processus, la réalité de l’accompagnement vers l’autonomie. Il y a d’abord une aide, puis une émancipation de l’aide qui donne naissance à l’autonomie.
L’autonomie n’est pas une capacité que l’on acquiert automatiquement avec l’âge de la majorité par exemple ou simplement parce qu’on aurait une personnalité naturellement indépendante. L’autonomie n’a d’ailleurs rien à voir avec l’idée de « faire ce que l’on veut ». Il s’agit d’une capacité humaine d’un tout autre ordre qui a perdu beaucoup de son sens dans notre civilisation. Nous avons confondu le besoin de liberté personnelle, et en particulier celui de réaliser ses propres désirs, aux dépens des autres si nécessaire, avec l’avènement en soi d’une « assise », d’un point de référence intérieur, ou autoréférence, qui se découvre progressivement par la pratique du regard conscient. Cet objectif est un des plus précieux dans une démarche d’accomplissement de soi.
Cependant, il n’est pas envisageable de réellement « savoir faire seul » quand celui qui fait (moi, je) est inconnu de soi, quand nous ne savons pas (ou trop confusément) qui nous sommes, d’où nous parlons, ou ce qui parle en nous. « Faire seul », de façon générale, ne peut donc pas précéder « aide-moi » ou même le contourner.
Il existe, à chaque génération, des personnalités, connues ou non, qui ont naturellement et très tôt la capacité à se fonder en eux-mêmes sur un espace de décision qui n’est pas submergé par les peurs, les projections, les dépendances, les attentes, les mémoires personnelles. Mais ces individus sont rares et nous devons donc aborder ce questionnement de la liberté pour la majeure partie de l’humanité qui se perd dans des substituts de liberté aux parfums d’asservissement. Quand un être humain fait un choix à partir de ses peurs, il peut se penser plus libre que s’il avait fait un autre choix sur le conseil d’une personne ayant plus de recul que lui, mais son choix sera mal inspiré. Le prix de cette liberté est la perte de l’action juste. Or aujourd’hui, le débat superficiel sur le sujet de la liberté personnelle est accaparé par ce discours compulsif de l’ego qui veut « faire seul » en faisant l’économie d'une aide apportée pendant le temps nécessaire. Un cri venant de son ventre vaut toujours mieux qu’une intuition, dans ce système, ne serait-ce que parce que le cri est plus facile à trouver que l’intuition, et que nous avons été formatés à nous précipiter plutôt qu’à prendre le temps de la maturation.
Le fait est que la confusion règne dans les esprits. Nous ne sommes pas éduqués à rencontrer notre vie intérieure de telle façon que nous pourrions parler d’une réelle « connaissance de soi ». Par contre, nous recevons très tôt des signaux culturels qui nous incitent à « faire ce que l’on veut » (« j’ai bien le droit ! » dit l’enfant avant même d’avoir une notion de ses devoirs). Une des formules les plus utilisées, par tout le monde et n’importe qui, à toute occasion, propose de « penser par soi-même ». Quelle belle perspective que cette « pensée par soi-même » ! Elle décrit une pensée qui passerait par « soi » avant d’être filtrée par des conditionnements. Mais comment pourrait-on prétendre penser par soi-même alors que nous avons d’abord été conditionnés et sans avoir pratiqué un regard conscient sur ces conditionnements afin que ces derniers ne « pensent pas à notre place » ?
Le philosophe William James disait « Nombreux sont ceux qui sont persuadés de penser, alors qu'ils se contentent de réaménager leurs préjugés ». Quelqu’un a déjà « jugé » pour nous de ce qui était bien ou mal, par exemple, et en répétant ce « jugement », nous avons l'impression, parce qu’il sort de notre bouche, qu’il appartient à notre propre réflexion. C’est une illusion. Et combien de nos pensées ne sont-elles pas asservies à ce mécanisme ? Combien d’êtres humains peuvent-ils dire qu’ils ont d’abord fait œuvre de « réflexion » (flexion de la conscience vers l’intérieur de soi) avant de parler ou de bavarder ? Combien savent reconnaître en eux-mêmes l’origine et la portée de leurs paroles avant qu’elles jaillissent de leur bouche, ou même qu’elles traversent leur esprit ? Qui a appris à faire la différence de saveur intérieure entre une réaction ancrée dans la colère et une action ferme fondée dans la liberté ? Combien d’individus sur cette Terre ont la maturité émotionnelle de ne pas être submergés totalement par leurs blessures les plus anciennes, même à un âge avancé ?
C’est à cause de ce genre de mécanisme que la nécessité d’un processus d’émancipation de nos conditionnements (avant même de parler de s’émanciper de l’aide pour y parvenir) est généralement indispensable. Si personne ne nous interrompt jamais dans le processus de notre pensée conditionnée, nous garderons la conviction qu’elle était « nôtre » et répéterons les mêmes actions aux conséquences fréquemment malheureuses.
« Aide-moi à faire seul » est un processus équilibré, qui reconnaît la faille majeure de notre civilisation et ses conséquences sur notre vie personnelle : nous n’avons jamais appris à reconnaître ce que nous vivions, ce qui nous traverse et ce qui s’anime en soi à chaque instant. La confusion dramatique qui résulte de cette réalité (nos actions ne sont pas fondées sur une réflexion autonome mais sur des réflexes conditionnés) ne peut que nous inspirer à demander de l’aide pour nous retrouver. Il s'agit alors d'accueillir cette aide quand elle se présente à soi avec évidence (c'est la rencontre avec l'ami spirituel) et de ne pas perdre le fil de cette évidence au hasard des chamboulements du processus.
Mais comme l’objectif est de « se retrouver », il faudra veiller à lâcher la main qui aide, un jour ou l’autre, pour « faire seul », sans quoi le processus aurait perdu son sens. Celui et celle qui aura cheminé « en conscience » dans les méandres de ses réflexes et la découverte de sa véritable nature, saura reconnaître ce moment parce que ce dernier est accompagné d’un authentique sentiment de liberté (pas d'une fuite) et de gratitude pour le processus (c'est une séparation bienveillante et saine) qui lui a permis de retrouver qui il ou elle était vraiment.
Il est indispensable d’apprendre à « être » avant de « faire ». Cette éducation devrait idéalement être offerte dès l’école primaire. L’être ne s’acquiert pas par le savoir seulement mais par la rencontre directe avec sa vie intérieure. Quand on sait qui on est, on sait mieux ce que l’on fait, pourquoi on le fait, et comment on le fait. C’est une vraie liberté et un soulagement intérieur immense que les conditionnements et les peurs ne nous ont jamais procurés. C’est enfin l’avènement d'une authentique autonomie n'ayant rien à envier à la volonté personnelle dominant nos sociétés qui s'apparentait plutôt à un égocentrisme.
http://www.istenqs.org/Aide_et_autonomie.htm?fbclid=IwAR3sXateELLl_0EBtt5ZUF8vJid4V_ml4MASQz_8u8UnNQDOeiEnCyyc1BY