Pour Boris Vallaud, le secrétaire général adjoint de l’Elysée, ce dimanche  8 mai  2016 est tout sauf un jour férié. Tant pis, et ce n’est certes pas son épouse, Najat ­Vallaud-Belkacem, la ministre de l’éducation nationale, qui lui reprochera de trop travailler.

C’est que l’énarque est chargé de déminer le projet de loi travail pour le compte de l’exécutif, et ce n’est pas une mince affaire, tant le premier ministre, Manuel Valls, et le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, à trop vouloir charger la barque réformiste, ont réussi à dresser un front uni contre le gouvernement. Sans compter les erreurs de communication lors du lancement du projet de loi. « On a été, je me mets dedans, au-delà de ce qu’on savait pouvoir être accepté par la CFDT, nous avoue François Hollande, le 11 mai 2016. Cela a braqué. Et la menace du 49.3 a été très malencontreuse. » Le chef de l’Etat fait allusion à une interview donnée par Myriam El Khomri aux Echos, en février 2016, dans laquelle Matignon a forcé la ministre du travail à assumer l’utilisation éventuelle du 49.3. Le mal était fait  : pour une majorité déjà traumatisée par la polémique sur la déchéance de la nationalité, le 49.3 fait ­office de chiffon rouge.

Boris Vallaud rêvait d’être torero, dans sa jeunesse  ? Le voilà servi. Après tout, il a su passer du cabinet d’Arnaud Montebourg, alors ministre de l’économie, à l’Elysée, c’est déjà en soi un gage d’esprit d’ouverture. C’est donc lui qui va au charbon, multiplie les ­entretiens avec les syndicats, les députés, le patronat, puis rédige in fine des notes pour informer et guider le chef de l’Etat.
Comment procéder ? En rusant

Ce dimanche 8  mai, donc, doit se tenir à l’Elysée, à 19  heures, la réunion cruciale, celle qui décidera de l’utilisation de l’article 49.3 pour imposer la loi travail au Parlement. Et créer une tempête politique, à son corps défendant. D’autant que François Hollande, lorsqu’il était dans l’opposition, a durement critiqué le recours à ce dispositif, certes constitutionnel, mais brutal. « Le 49.3, c’est un déni de démocratie quand le texte n’a pas été véritablement discuté ou corrigé, là il avait été discuté en commission, il avait été déjà corrigé dans la concertation, se défend devant nous, le 11 mai 2016, le chef de l’Etat. J’ai tout fait pour essayer de trouver des compromis, de faire les amendements qui pouvaient permettre aux socialistes de se retrouver. Je ne me suis jamais engagé à ne pas utiliser, durant le mandat qui m’a été donné, le 49.3. »

C’est pourquoi il n’est pas choqué quand, le jeudi 5 mai 2016, il prend connaissance du contenu d’une première note confidentielle rédigée par Boris Vallaud. Le secrétaire général adjoint a déjà fait ses comptes  : « Les votes “contre” peuvent totaliser 283 voix, ce qui suppose de contenir à une dizaine le nombre des abstentionnistes sur les 294 députés restants de la majorité pour espérer voir le texte adopté. Il paraît difficilement concevable dans ces conditions d’aller au vote.  » Une seule solution, donc  : recourir à l’article  49.3. Avec les risques politiques induits. D’où la recommandation de Vallaud, toujours dans la même note  : le recours au 49.3 ne sera « ni un acte d’autorité ni un acte de faiblesse », explique-t-il.
« Feindre de croire que tout le monde est de bonne volonté, avant de constater que les efforts ne sont consentis que du côté de l’exécutif […]. Le 49.3, c’est [les frondeurs] qui l’imposent, pas la “majorité de la majorité”. »

Comment procéder ? En rusant. Les éléments de langage sont fournis avec la note. Il va falloir arpenter les plateaux de télévision et les stations de radio. Vallaud conseille ceci  : « Feindre de croire que tout le monde est de bonne volonté, avant de constater que les efforts ne sont consentis que du côté de l’exécutif (…). Prendre la majorité à témoin. Assumer les divergences et pousser le dernier carré des frondeurs dans ce qui devra apparaître comme leurs excès. Le 49.3, c’est eux qui l’imposent, pas la “majorité de la majorité”. »

Le secrétaire général adjoint s’inquiète tout de même d’un point : le rapporteur du projet de loi, le député (PS, Saône-et-Loire) Christophe Sirugue, s’agite dans tous les sens, à la recherche d’un impossible compromis avec les frondeurs. Il « cherche seul un point d’accord, sans mandat du gouvernement, ce qui peut nous mettre en difficulté », note Vallaud. Qui préconise d’organiser rapidement une réunion à haut niveau. « Il ne faut pas satisfaire à la longue liste des micro-amendements », écrit-il enfin, en proposant une fenêtre de tir pour le 49.3 : « Mardi [10 mai] en fin de journée ou mercredi [11 mai] semblent les moments les plus opportuns. »
Aucune pitié pour les frondeurs

François Hollande souscrit à l’ensemble des arguments de Vallaud. Une réunion est donc mise sur pied, le dimanche 8 mai. Le matin même de cette journée essentielle, le chef de l’Etat est destinataire d’une dernière note, confidentielle, émanant du secrétariat général de l’Elysée. L’exécutif peut envisager de bouger encore un peu, notamment sur le périmètre à retenir pour définir les licenciements, une disposition qui pose problème. Mais il ne devra avoir aucune pitié pour les frondeurs. Pour ­Vallaud, il s’agirait ainsi de retenir entre 460 et 470 amendements sur les 5 000 déposés, « mais aucun des 84 amendements déposés par J.-M. Germain, aucune parmi les 128 déposés par P. Cherki et aucun parmi les 7 déposés par C. Paul ».

Jean-Marc Germain, Pascal Cherki et Christian Paul comptent parmi les députés socialistes les plus réfractaires au tropisme social-libéral symbolisé par le duo Valls-Macron. Pas question de les satisfaire. A François Hollande, désormais, de prendre les choses en main. D’assumer le conflit politique. Le dimanche  8 mai 2016, à l’Elysée, Manuel Valls, François Hollande, la ministre du travail, ­Myriam El Khomri, ou encore Bruno Le Roux, patron des députés socialistes, se retrouvent. Une décision est actée : l’article 49.3 sera utilisé, dès le mardi 10 mai comme l’avait ­préconisé Vallaud. Mais surtout, n’en parler à personne. Ou alors, exiger le silence.

Le 8 mai au soir, nous interrogeons François Hollande. Il n’en démord pas, tout est amendable, discutable, hormis l’article 2 du projet de loi travail : « Parce que c’est ce que la CFDT veut. Et moi aussi, puisque ça permet d’avoir un dialogue social qui puisse changer à terme le syndicalisme et le dialogue social en France. Faut tenir bon là-dessus. » Il a déjà pris la précaution de s’entretenir avec Laurent Berger, le leader de la CFDT. Berger, « un type très malin. Très courageux », assure le chef de l’Etat.
« [Pierre Gattaz] ne tient pas grand-chose dans son organisation. Parfois, on vous aide tellement maladroitement qu’il vaut mieux éviter »

Il doit maintenant prévenir Pierre Gattaz, le patron du Medef, avec qui il a moins d’atomes crochus. Gattaz, « pas un mauvais bougre » selon le chef de l’Etat, ne lui inspire guère confiance : « Il ne tient pas grand-chose dans son organisation. Parfois, on vous aide tellement maladroitement qu’il vaut mieux éviter. »

Hollande se méfie du patronat. Mais il ne peut s’en passer. « Il n’y a à mon sens de réforme possible en France pour la gauche de gouvernement que s’il y a un accompagnement par le patronat, qui doit au moins être associé à ce processus, et être accompagné, voire soutenu et approuvé, par les syndicats réformistes », soutient-il.
« C’est la dissuasion du faible au fort »

Le lundi 9 mai, pour la façade, Valls reçoit une dernière fois les frondeurs, tente de les convaincre, sans y croire une seule seconde. Et l’article 49.3 est mis en œuvre le lendemain.

Bronca générale : 56 députés socialistes, écologistes et communistes, tentent de déposer une motion de censure contre le gouvernement. Ils échouent à deux petites voix près. Hollande réprouve vivement le procédé et s’emporte devant nous : « Ce que voulait une très grande majorité des députés socialistes, une petite minorité pouvait décider du contraire ? C’est la dissuasion du faible au fort. Je représente 30 députés, et je vous empêche, vous les 250 autres, de faire le texte que vous avez décidé de faire… » Du coup, il va pousser le patron du PS, Jean-Christophe Cambadélis, à menacer les députés insoumis de sanctions, en leur retirant notamment l’investiture pour les élections législatives de 2017.
« Je ne pense pas que cette loi va créer de l’emploi à court terme. Ce qui va créer de l’emploi, c’est toutes les mesures que nous avons décidées précédemment »

Hollande est parfaitement résolu à défendre sa loi, ce projet qu’il caresse depuis si longtemps, à défaut de l’avoir clairement annoncé : « Je ne pense pas qu’elle va créer de l’emploi à court terme. Ce qui va créer de l’emploi, c’est toutes les mesures que nous avons décidées précédemment. Mais je pense qu’elle va être un exemple de ce que nous devons faire pour le modèle social français. » Le 49.3 sera encore utilisé à deux autres reprises, avec l’adoption définitive de la loi travail, à l’Assemblée nationale, le 20 juillet 2016.

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Entre-temps, des centaines de milliers de personnes dans les rues, un mouvement sporadique, Nuit debout, des grèves à n’en plus finir et une majorité exsangue. Le président avait-il anticipé ce mauvais climat ? Craint-il une contagion des colères ? Ce printemps social 2016, se rassure-t-il le 11 mai, « n’a pas été un mouvement puissant, pas comparable avec ce qui s’était passé pour les retraites en 2010, bien moins puissant qu’en 2004, rien de comparable avec La Manif pour tous, et même tellement plus faible qu’avec le CPE [contrat première embauche], 1995, etc. Je n’ai jamais pensé qu’on était en face d’un mouvement puissant. Je n’ai pas senti une déferlante, avec une indication pour moi très importante, les jeunes. Il y a eu des jeunes dans le début du mouvement, ils n’y sont pas restés, on n’a pas eu de décrochage, de blocage de lycées, et ça change tout, la présence de jeunes. La figure de ce mouvement, c’est Martinez, il n’y en a pas d’autres. »

Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, l’agitateur médiatique. « Débordé par sa base », selon Hollande. Le second round aura lieu le 15 septembre, date prévue par les syndicats contestataires pour manifester, une énième fois, leur opposition à la loi travail. Même si celle-ci a été définitivement adoptée, à la hussarde, après un troisième 49.3. Boris Vallaud peut bien prendre quelques jours de vacances, puis s’attaquer à d’autres missions impossibles. Il n’en manque pas, depuis le début du quinquennat…