(#) Sujet: Mondanités ; solitude moderne. Ven 14 Nov 2014, 00:50
Je voudrais partager avec vous quelques lignes que j'ai rédigées il y a de cela un an, quasiment jour pour jour - je n'ai effectué que quelques modifications de forme avant de le poster ici. J'y émets quelques idées. J'en vois les failles, et la potentielle arrogance qui se dégage de certains passages, malheureusement, je le crains, inévitable au jeune INFP qui découvre les aspects sociologiques et politiques du monde. Cela me paraît même faible par endroits. Mais j'aimerai susciter un débat sur la place que tiennent les réseaux sociaux dans nos vies. N'hésitez pas à faire des remarques, à poser des questions, et à ajouter vos points de vues.
"Tout d'abord il y a deux niveaux dans la solitude. Il y a la solitude subie, la solitude que l'on craint, que l'on fuit. Puis il y a la solitude mise à profit.
Celui qui subit a peur de lui-même, de son corps et de sa psyché, et ne voit bien souvent le monde qu'à travers le prisme de l'Autre, totalement sacralisé par une idéologie sociale-démocrate libertaire. Sans l'Autre, où vais-je ? Que suis-je si je ne brille pas dans son regard, si l'on ne me porte pas d'attention ? Qui cela va-t-il intéresser lorsque j'exprimerai ma rébellion sur mon réseau social préféré ? Est-ce que je pense de la bonne manière ?
Celui qui désire mettre cette solitude à profit est en perpétuel conflit (le plus souvent implicite) avec le reste de la communauté, à cause de l'idéologie induite ci-dessus. Il est souvent considéré comme asocial, pas parce que n'aimant pas le contact avec les autres, mais ne comprenant pas les codes de sa génération. Souvent, il est pourtant tout à fait apte à exprimer des idées qui suscitent le débat (si il est encore possible), et par là de briser le consensus, ce qui me paraît être quelque chose d'assez sain - au risque d'être accusé de faire du "mauvais esprit", affirmation à laquelle il peut se recroqueviller dans sa carapace si il n'a pas assez d'indépendance d'esprit, mais j'y reviendrai.
Depuis Mai 68, la société moderne a dressé le corps humain à l'animation machinale, à la "bande", à la mondanité (concepts introduits par Michel Clouscard dans "Le Capitalisme de la Séduction"). Propos futiles et rires de façade. Le "small talk" à tout prix. On ne devient rien sans un entourage et un standard de vie sociale post-adolescent, qui se résume à consommer, mais à plusieurs (si j'ai bien compris mes diverses expériences en la matière). Un bar, un appartement, de l'alcool, de la drogue. Buvons, altérons ! Devenons des légumes, électro-encéphalogramme plat, puisque c'est "fun". Ne soyons rien sauf un reflet dans des yeux qui ne nous appartiennent pas. Vous me reprocherez de faire une critique acerbe de la fête, je l'assume : car c'est une critique de la fête du vide. Célébrons ce qui nous oppresse ! Le grand "zapping" des soucis quotidiens. Et il ne faudra pas se contenter d'être sou : il faudra acquérir du prestige, seul ou à plusieurs. Jardin d'enfants en mal d'attention et de reconnaissance. Se démarquer, être le plus drôle, le plus savant, le plus ceci ou cela. Plus la somme de prestige est élevée, plus l'entourage indirect retiendra les prénoms et ajoutera sur réseaux sociaux. Sans cela, qui êtes-vous ?
Une fois la fête passée, on se "retrouvera" (ou plutôt l'on se cherchera) sur ces fameux réseaux. L'informatisation au service de la convivialité. Avantage fameux pour les plus introvertis, simple outil pour les plus extravertis (et pour décoder l'on pourra même se référer à la théorie des facultés cognitives de C.G. Jung, si il nous reste des neurones). On résumera par de brèves phrases la soirée de la veille, lançant des bouteilles à la mer au nom d'un tel ou un tel. Dans tous les cas, il faut absolument que tout le monde sache. Il faut séduire. Récompense par l'approbation ("J'aime"), satisfaction de la reconnaissance. Frustration si l'on est ignoré. Allégorie de l'ultra-libéralisme, plus l'on engrange et plus l'on a d'influence sur le réseau (Fait déjà établi à l'ère des skyblogs, la monnaie locale étant à l'époque les commentaires). Il n'y a qu'à observer les personnes les plus populaires d'Internet (comme Antoine Daniel de "What the Cut?") pour le constater : des dizaines et des dizaines de "J'aime" au moindre commentaire émanant de sa personne, si dénué d'intérêt soit le commentaire en question.
Puis l'on passera à la phase d'observation : visite du profil de l'Autre. Fouille détaillée. Chacun a son univers résumé en quelques pixels, photos, liens, phrases. Il suffit de cliquer et de regarder. La personne mondaine prendra souvent ceci comme argent comptant pour se faire un jugement, en oubliant que ce n'est là qu'un nouveau reflet dans la comédie sociale. En aucun cas un profil n'est réellement révélateur d'un individu. Un profil est révélateur d'un personnage.
Chacun joue le rôle dans lequel il est le plus à l'aise, en soirée comme devant l'écran : l'un jouera le rôle du rigolo ; l'autre de l'objecteur de conscience. L'un sera le pro de la musique ; l'autre le poète maudit qui se drogue. Celui qui ne se sent pas particulièrement concerné par la comédie ne jouera pas de rôle en particulier, en tout cas le moins possible, car il n'y a rien de plus simple que de céder à la tentation du clic. Certains n'hésitent pas à exposer leur mal-être en place publique (mais virtuelle), citations poétiques et statuts ultra-vagues pour attirer l'attention sur leurs pauvres petits Moi.
Culte du Moi, pour les Autres.
"La vanité de maintes personnes qui n'auraient pas besoin d'être vaniteuses est l'habitude maintenant adulte qui leur est restée d'un temps où elle n'avaient pas encore le droit de croire en elles et ne faisaient que mendier la petite monnaie de cette créance auprès des autres."
(F. Nietzsche, "Humain, trop humain", p. 311, 583 : Vanité attardée)
Celui qui subit la solitude pourra se contenter de ce petit jeu un petit moment, et en redemandera même souvent, puisqu'il lui permet de rester en contact avec tous (et de se fuir soi-même), scrutant son fil d'actualité à toutes heures, en attendant la prochaine virée de la meute avec impatience. Puis viennent les moments de doute, où il pourra se torturer l'esprit à se demander quelle est la perception que les gens ont de lui, scrutant son fil d'actualité à toutes heures, voulant briser son masque et n'y parvenant pas. Car il est impossible d'être authentique dans la mondanité : c'est une extension bourgeoise de la société qui n'a elle-même rien de naturel, puisqu'elle est un accord passé entre les hommes pour transcender la nature (cf. Rousseau et son contrat social).
Le désir de reconnaissance est-il un désir d'esclave ?
Sommes-nous réellement libres en réclamant l'approbation psychologique de nos congénères ?
Pouvons-nous briser les chaînes de la mondanité ? Par quels moyens ?
Qu'en est-il de celui qui désire mettre sa solitude à profit ?
C'est avec ces questions que je nous invite à la réflexion."
Chase El Pacificator ChasingStarlight, le Besancenot de l'Ego
Type : INFP Age : 31 Lieu : Higher Emploi : J'bicrave des rimes Inscription : 10/01/2012 Messages : 3253
(#) Sujet: Re: Mondanités ; solitude moderne. Ven 14 Nov 2014, 02:02
Je pense que le désir de reconnaissance est, originellement, une tactique de survie permettant de se faire une place dans le groupe et d'avoir une sorte de preuve de son existence (puisque l'homme préhistorique ne survit pas seul). Bien sûr on en est pas là, mais depuis on a fait du chemin, construit une culture, qui maintenant est selon moi au paroxysme de la perversion. On assiste à un théâtre médiocre et, dans le fond, glauque, vidé de toute substance naturelle et mit au service des plus forts (commerciaux). Parce que ce sont eux qui sont devenus les "créateurs" de la culture moderne, celle qui nous berce, nous hypnotise et nous fait gaver de la merde de force. Alors évidemment on est devenus des oies, depuis notre plus tendre enfance, gavées et forcées (du moins implicitement, encore pire puisqu'on sait pas contre quoi se rebeller) à avaler tout un tas de stéréotypes et préjugés jugés bons pour la masse. Pour moi l'artificiel prime sur tout et n'aboutit sur rien. Dans quel cas on pourrait dire : "mais si t'es pas d'accord deviens toi même et te plaint pas", ce à quoi je demanderais comment faire si depuis notre naissance on nous force à avaler une culture de masse qui nous emprisonne dans des schémas par conséquent bien profonds. Celui ou celle qui en prend conscience va alors s'isoler et la culture de masse étant contre, sera à un contre mille (le lycée étant un superbe exemple). Je n'accuse pas tout le monde, seulement la masse. Je pense d'ailleurs en être particulièrement sensible et de ce fait en souffrir, ne pouvant l'ignorer. Finalement à choisir entre le social artificiel et la solitude (en étant donc très sélectif ses congénères) je choisis la deuxième. D'ailleurs sur ce forum peu diront l'inverse... Pas pour rien qu'on est ici.
"Pouvons-nous briser les chaînes de la mondanité ? Par quels moyens ?"
Comme elle fait partie de la culture de masse, on ne peut la briser que dans sa sphère. Tenter d'agrandir notre influence anti-mondaine reviendra à se marginaliser, c'est évident. Je préfère fermer ma gueule quand j'en ai envie et parler quand j'en ai envie aussi, je ne me force jamais. Pas grave si on me prend pour un autiste.
Ta dernière question ne m'inspire pas en revanche, déjà que j'ai l'impression d'avoir été assez flou.
_______________________________________ Fiat iustitia et, pereat mundus.
Invité Invité
(#) Sujet: Re: Mondanités ; solitude moderne. Dim 16 Nov 2014, 19:40
A titre personnel, je viens de transformer mon compte Facebook en "compte fantôme" : je ne m'en sers plus que pour participer aux "groupes secrets" dans lesquels je suis inscrit avec des amis relativement proches.
J'ai signifié à tous mes contacts en un seul message que le petit jeu ne m'intéressait plus (bon, pas de manière aussi péremptoire... le message était plus formel), tout en laissant mes coordonnées, pour ceux qui souhaiteraient échanger avec moi. Je me suis également désabonné de leurs flux d'actualités. Cela me permet de ne plus être parasité par des informations inutiles, tout en réduisant le temps que j'y passe.
Si c'est en me "marginalisant" que je peux gagner du temps et occuper mon esprit de manière constructive, alors je le fais avec plaisir. Certains arrivent à concilier ces choses, moi pas : j'ai besoin d'une séparation nette entre la procrastination et les activités/projets que je repousse à plus tard sans cesse.
Là par exemple je procrastine. :-) Mais un forum ne comportant pas forcément l'aspect "instantané" que peuvent avoir des réseaux comme Facebook ou Twitter, je me sens beaucoup moins happé, je n'ai pas envie d'y rester "au cas où". Les réponses viennent quand elles viennent, et c'est très bien. Moins aliénant. Je ne suis pas sollicité instantanément par un message privé ou par une notification sur mon smartphone (j'ai d'ailleurs supprimé Facebook de mon smartphone, et je compte bien faire en sorte que mon prochain téléphone ne soit pas un smartphone : j'ai horreur de cette tendance à rester le nez plongé dans dans un écran quand je me trouve dans le "monde extérieur" ; ce symptôme se manifeste de plus en plus chez les gens que je croise en ville, et je ne veux pas en être).
Chase a écrit:
Pour moi l'artificiel prime sur tout et n'aboutit sur rien. Dans quel cas on pourrait dire : "mais si t'es pas d'accord deviens toi même et te plaint pas", ce à quoi je demanderais comment faire si depuis notre naissance on nous force à avaler une culture de masse qui nous emprisonne dans des schémas par conséquent bien profonds.
Mais aucun problème : si devenir moi-même c'est régurgiter tous ces schémas et me barrer la conscience tranquille, je dois le faire. Si devenir moi-même c'est un peu me couper de "ce qui se passe" comme on dit (bien qu'en vérité il ne se passe pas grand-chose, c'est juste que tout ceci prend une place assez disproportionnée dans nos vies), alors je dois couper. Ca n'aura pas que des bons côtés ; mais l'apport sera plus grand, comme avec le sport. La chose est progressive, donc pas évidente, surtout à l'ère de l'instantanéité. Mais en comparaison, que m'apporte une vie sociale "virtuelle" à laquelle j'accède quand je suis seul, quand justement le temps passé seul devrait être constructif, reposant et épanouissant plutôt qu'aliénant, énervant et parfois même pervers (je pense notamment au voyeurisme qu'entraîne le libre accès à certains profils, permettant d'accumuler des informations sur quelqu'un et même de se créer un jugement à l'emporte-pièce) ?
Quant au reste de ta réponse, j'adhère sans difficulté.
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(#) Sujet: Re: Mondanités ; solitude moderne. Dim 16 Nov 2014, 20:10
reznor a écrit:
Je ne suis pas sollicité instantanément par un message privé ou par une notification sur mon smartphone (j'ai d'ailleurs supprimé Facebook de mon smartphone, et je compte bien faire en sorte que mon prochain téléphone ne soit pas un smartphone : j'ai horreur de cette tendance à rester le nez plongé dans dans un écran alors que l'on se trouve dans le "monde extérieur" : ce symptôme se manifeste de plus en plus chez les gens que je croise en ville, et je ne veux pas en être).
je te suis totalement la dessus.
je m'applique à faire une séparation très nette entre l'intérieur et l'extérieur, de façon à être authentique autant avec moi-même dans mon antre, que dehors avec les gens. je passe beaucoup de temps devant un écran quand je suis chez moi, mais quand je suis dans le reste du monde, les gens, l’extérieur, je ne veux pas recevoir la moindre sollicitation correspondant au "monde du rempli". ce sont deux modes sociaux différents, deux dynamiques différentes, deux modes de fonctionnement différents, et pour ma part le fait de mélanger les deux constitue un écueil.
mon mental étant suffisamment auto-immersif, je n'ai pas envie d'en rajouter une couche avec un écran interposé alors que je suis hors de chez moi. je souhaite rester alerte aux stimulis sensoriels lorsque je suis en contact avec les choses : le piège étant pour les personnes très IN de s'enfermer dans un fonctionnement abstractif sans distinction de milieux, se coupant ainsi de l'enrichissement potentiel qui peux surgir de l’observation et la sensation.
à titre de comparaison, lire sur papier dans le tramway ne me pose aucun problème, même si l'activité semble similaire, la matiere est la, et l'intention n'est plus dans la fuite de la "présence de soi".
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A titre personnel, je viens de transformer mon compte Facebook en "compte fantôme" : je ne m'en sers plus que pour participer aux "groupes secrets" dans lesquels je suis inscrit avec des amis relativement proches.
J'ai signifié à tous mes contacts en un seul message que le petit jeu ne m'intéressait plus (bon, pas de manière aussi péremptoire... le message était plus formel), tout en laissant mes coordonnées, pour ceux qui souhaiteraient échanger avec moi. Je me suis également désabonné de leurs flux d'actualités. Cela me permet de ne plus être parasité par des informations inutiles, tout en réduisant le temps que j'y passe.
Si c'est en me "marginalisant" que je peux gagner du temps et occuper mon esprit de manière constructive, alors je le fais avec plaisir. Certains arrivent à concilier ces choses, moi pas : j'ai besoin d'une séparation nette entre la procrastination et les activités/projets que je repousse à plus tard sans cesse.
Intéressant, j'ai fait exactement la même chose il y a quelques semaines et pour à peu près les mêmes raisons. De plus je ne trouve pas ça normal qu'on ne puisse pas supprimer son compte facebook, mais juste le désactiver.
Certains de mon entourage ont compris, d'autres pas.
Dans tous les cas, je reste seul par choix et non par contrainte car la solitude, j'aime ça. En fait plus le temps passe, plus je m'isole. C'est comme ça. Mon Épouse se demande souvent si je ne suis pas devenu asocial ou insociable. Surement vue les critères de la société, mais selon les miens pas du tout.