Bonsoir ; par où m'introduire ?
Je suis jeune et riche et cultivé ; et je suis malheureux, névrosé et seul.
À ma naissance, il semble que toutes les fées se fussent pressées à mon berceau, mais trop d'égards attendrissent le cœur et ce soir enfin, déchu, je mesure l'ampleur du sort qu'on me choisit sous couvert de bénédiction.
Enfant de la chance, de la race des rois, j'étais appelé à rejoindre les plus grandes figures, le destin des plus nobles, les éveillés. Mais l'avènement de la conscience que l'on nomme propre devait perdre mon âme. Sous l'égide d'un démon inconnu, je cueillis les germes du vice et ce principe devenu racine inscrivit sur mon front le signe du déclin. Les instincts pourris qui m'incombaient poussèrent leur fruit en moi ; le fruit éclos, j'étais devenu un autre, inapte à tout sentiment humain, et si incapable de société que les hommes ne tardèrent pas à me rejeter de leur compagnie. La candeur frivole de mon enfance flétrit, ravagée par la conscience naissante de la décadence irrémédiable, de ce qui n'avait un jour été que pureté idéale.
Aujourd'hui, je suis maudit. La terne pensée, morte avant l'éclosion, a conservé mon innocence et ma grâce. La société des hommes m'est interdite et mon identité, emmenée par eux, ne parvient plus à dissimuler avec enjouement les traits hideux qui se creusent en moi. Le mensonge s'est fait mon allié, et a pris possession de ma vivacité. Chacun de mes mots, chacun des gestes dont se pare ma figure malfaisante ne sert plus qu'à masquer mon tourment. Vous qui croyez me lire, vous devez m'entendre ; et que celui à qui parviendra le vrai son atroce de ma voix travestie me reconnaisse !